lundi 29 juin 2015

Petits paradis perdus. Mouthiers-sur-Boëme !


 Je ne sais même pas de quoi ça dépend – d'une politique du tourisme objective et efficace, de la motivation des habitants ou tout simplement de la chance, mais il y a des petites villes ou des villages que tout le monde a envie de visiter. Ils sont indiqués dans tous les guides touristiques, sur toutes les cartes de voyage, et partout il y a plus ou moins la même phrase: « Oh, vous devez absolument visiter ce magnifique endroit avec le charme inimitable français ! » Et en fait ce n'est pas faux, c'est juste beaucoup plus modeste que ce qui était promis. Pourtant il existe des localités moins connues et qui sont beaucoup plus riches en trésors historiques ou en sites culturels et naturels, mais peu de gens le savent car dans les livres ou sur internet on ne trouve presque pas d'informations à leur sujet. C'est le cas d'un autre petit paradis perdu que nous avons trouvé à environ 11 km au sud d'Angoulême : Mouthiers-sur-Boëme.


 Tout d'abord je demande pardon aux habitants de Mouthiers, mais combien de fois j'ai traversé ce village sans même me rendre compte qu'il abrite tant de trésors architecturaux, de magnifiques parcs et jardins, de logis médiévaux, de sites préhistoriques etc. Pendant bien longtemps, pour moi, Mouthiers restait un village vieillissant avec ses typiques maisons charentaises ou ses villas kitsch modernes, comprenant le "kit classique" des établissements administratifs et une atmosphère inexplicable de désolation et de dégradation… Et en réalité il y a effectivement dans cette petite ville de campagne beaucoup d'anciens bâtiments abandonnés, de magasins ou de restaurants fermés et d'endroits mal entretenus, presque sauvages...



 Mais un peu partout à Mouthiers se cachent de vrais petits paradis perdus, si nombreux que nous n'avons pas pu tout voir, même en nous rendant ici plusieurs fois. L'absence d'indications ou de panneaux nous a souvent obligées à chercher par nous-même ou à demander aux passants de nous indiquer les directions. Bien que la population du village ne soit que d'environ 2600 habitants il est très étendu et règne sur une superficie totale d'environ 35 km² ! Ça rend les recherches encore plus difficiles si on ne sait pas où aller avant. Mais nous avons quand même essayé de créer un petit guide pour les futurs touristes de Mouthiers-sur-Boëme. Ce village a vraiment un grand potentiel touristique caché et mérite d'être promu !


 La Bohëme



 Si je devais trouver un petit nom à Mouthiers-sur-Boëme je le surnommerai probablement "le village aquatique" ou "le village sur l'eau". En effet tout ici est lié, d'une manière ou d'une autre, à l'eau de la rivière "La Boëme" et de ses affluents. L'eau suit le voyageur partout où il va. Elle est propre, transparente et très vivante. Par endroits, avec la végétation, on dirait des extraits du film de Tarkovski «Stalker». On peut regarder cette eau sans arrêt !


 Si vous voulez visiter Mouthiers avec des enfants en bas âge, il faut penser à prévoir une "laisse" ou un harnais car il y a plein de tentations de plonger et d'aller patauger !


 La rivière, dont l'eau vive coule tout le long du village, tourne et se recourbe par endroits créant de petites îles. La Boëme est le personnage principal des nombreuses légendes et histoires qui . Pendant longtemps elle nourrissait la population et permettait de faire tourner les multiples moulins à blé. Souvent, certains meuniers rusaient en bloquant la rivière pour s'attribuer plus de courant. Les voisins s'en rendaient vite compte et les règlements de compte ne se terminaient pas toujours à l'amiable. Aujourd'hui l'énergie de la Boëme n'est guère plus utilisée que pour des raisons esthétiques.


Les lavoirs de Mouthiers-sur-Boëme



 Ce sont les fameux lavoirs de Mouthiers construits au milieu du 19ème siècle. Sur les deux rives on peut en compter environ une dizaine. Tous les lundis, jusqu'à la fin des années soixante, c'était l'endroit où lavaient, rinçaient, blanchissaient le linge presque toutes les Monastériennes. C'était un lieu très gai et animé dans le village. C'est pour ça que l'apparition des premières machines à laver n'a pas été une bonne nouvelle pour tout le monde !


 A part quelques lavoirs qui se trouvent désormais dans des jardins privés, la majorité d'entre eux sont accessibles aux visiteurs... ou aux gens qui voudraient y faire leur lessive !


 Il y a également un lavoir communal qui a été ajouté après la guerre.


 Et il y a les anciens lavoirs privés qui appartiennent désormais à la mairie et qui ont été restaurés à l'aide des seuls forces et moyens des habitants sensibles au passé et au présent de Mouthiers.


 En passant entre les jardins privés par l'impasse de la Fontaine qui se trouve juste à coté de l'église on peut les rejoindre. Malheureusement il n'y a pas de panneaux qui aident à les trouver, mais si on y arrive on peut alors entrer à l’intérieur des lavoirs, tout bien regarder, se forger sa propre opinion de la vie d'autrefois sans les machines à laver et même toucher les tables en pierre ou les bassines en métal...


 Ou s’asseoir sur l'une des chaises en pierre qui permettaient aux Monastériennes de se reposer après une longue journée de lessive !


 Ici se trouve le puits où venait se ravitailler en eau tout le bourg jusqu'à l'apparition de l'eau courante dans les années soixante.


 Les jardins privés qu'on peut observer sur le chemin vers les lavoirs.


 Et aussi un énorme banc en bois brut fait maison.


 Avec une collection de pierres que les enfants ont bien apprécié. Un grand merci à ceux qui ont créé cette expo improvisée dans la rue pour que tout le monde puisse en profiter.


 Juste à coté on a trouvé une drôle de petite cour avec un banc dans le même style, mais plus petit...


 Pas vraiment typique d'un village charentais, nous sommes aussi tombées sur un passage suspendu entre deux maisons.


 Et une très mignonne cabane à outils. Mouthiers c'est très varié !


L'église Saint-Hilaire



 L'église Saint-Hilaire, de style romain avec sa tour hexagonale et de nombreux personnages fantastiques sculptés sur les murs, participe depuis 10 siècles à la richesse et à la beauté du centre historique.


 Chaque matin les sœurs qui habitent juste à coté ouvrent la porte de l'église. Voilà pourquoi elle reste ouverte toute la journée. À l’intérieur ça sent vraiment le onzième siècle !


Une médiathèque rurale moderne



 Une nouvelle et très originale médiathèque a été ouverte récemment à Mouthiers-sur-Boëme. Elle se dresse à la place des anciens ateliers et maisons qui (comme en témoignent les habitants) étaient en très mauvais état. C'était le dernier projet de l'ancien maire du village, Cécile Forgeron, que je trouve très réussi car c'est plutôt rare de réussir un mélange aussi harmonieux du passé et du présent !


 Il y a plein de passages différents, un petit square, une terrasse couverte, un jardin. L'architecte angoumoisin Nicolas Genaud, qui travaillait avec son équipe sur le projet, a laissé de nombreux détails des anciennes demeures comme, par exemple, la cheminée. L'architecte résume ainsi son travail en quelques mots : "On a gardé tout ce qui nous intéressait au niveau patrimonial et on a traité de façon contemporaine tout ce que l’on a rajouté, avec de l’acier, de l’alu, du verre ou du bardage zinc" (http://www.charentelibre.fr/2014/01/15/mouthiers-a-la-pageouverte-du-mardi-au-samedi,1874744.php).


 Même les toilettes publiques de l'époque ainsi que ce superbe lavabo ancien ont trouvé leur place au sein du nouveau projet.


 Et avec son nouveau look la médiathèque donne envie d'y rentrer. Dommage, c'était malheureusement un jour férié et elle était fermée !


 Nous ne sommes pas les seules à avoir vraiment apprécié la nouvelle médiathèque de Mouthiers puisque dans la cour nous avons trouvé un petit panneau avec le prix des rubans du patrimoine 2014. C'est le trophée attribué aux meilleures restaurations de bâtiments anciens et des bonnes réalisations architecturales où se mélangent bien les différentes époques.


 Tout le village en lui-même est aussi un mélange d'ancien et de moderne. On peut dire que Mouthiers-sur-Boëme est divisé en deux parties : la vieille ville et la nouvelle. En bas de la falaise se trouve l'ancienne partie avec ses monuments historiques et le peu de commerces qui restent encore ouverts aujourd'hui. La nouvelle partie, qui a commencé à se remplir vers les années soixante, se dresse en haut de la falaise. C'est un quartier résidentiel avec les habitations modernes que j'ai évoqué au début de ce long article. Je ne sais pas, par contre, si ces deux parties ancienne et moderne cohabitent aussi harmonieusement que dans le cas de la médiathèque...


 Le viaduc des Couteaubières



 (source photo : http://lgv2030.free.fr/internautes/i_marsupilud.htm)

 Mouthiers est également divisé en deux par le chemin de fer et notamment la ligne Paris-Bordeaux. Et le train ne peut pas passer inaperçu. Le braillement de chaque TGV bourdonne bien dans les oreilles à chaque passage. Mais les habitants disent, avec philosophie, qu'on s'habitue à tout et que finalement, une fois qu'on y est habitué, le train se fond dans le paysage sonore du village. Les hautes arches du viaduc des Couteaubières résultent de la construction du chemin de fer dans les années 1840-1850...


 C'est une construction architecturale impressionnante et imposante d'une longueur de 330 mètres pour une hauteur de 22 mètres. Ce pont est considéré comme le plus long en courbe sur une ligne traditionnelle. En bas du viaduc on peut trouver un joli coin tranquille pour les promenades.


(source photo : http://jeu-cl-non-officiel.forumgratuit.org/t501p30-question-32-3-points)

 Les rumeurs disent que c'est à cause de la construction du chemin de fer à Mouthiers que le cours de la Boëme a été détourné. Mais il est aussi possible que ça ait été fait par l'usine de papier "La Rochandry", célèbre à l'époque dans toute l'Europe.

La papeterie Laroche ou La Rochandry



(source photo : http://dossiers.inventaire.poitou-charentes.fr/le-patrimoine-industriel/notice.php?id=IA16066335)

 Durant des siècles la Boëme a vécu et survécu à de nombreux changements et travaux qui sont devenus encore plus importants à partir du 17ème siècle avec l'apparition des moulins à papier. Ces nouveaux moulins ont été plus gourmands en énergie hydraulique donc il fallait augmenter les hauteurs de chute d'eau ou faire d'autres modifications. Voilà pourquoi il existe une autre version selon laquelle le cours de la Boëme dans le centre de Mouthiers aurait été modifié par la fameuse papeterie Laroche.


 Son apparence d'aujourd'hui l'usine la doit à son propriétaire François Fougeret qui a acheté le moulin à papier La Rochandry en 1840 pour 28 500 francs payables en 5 ans et a décidé de créer une fabrique moderne dotée des plus récentes technologies pour faire du papier de qualité et de luxe à base de fil et de laine. Plus tard, des raisons économiques l'ont obligé à chercher de nouveaux partenaires qui sont finalement devenus les nouveaux propriétaires de l'usine. Il s'agit de Lacroix et Alphonse Laroche. Les fils de Laroche ont continué à moderniser l'usine et à partir de 1896 la fabrique s'est occupé uniquement de la production du papier de luxe nommé «couché». Jusqu'en 2003 l'usine Laroche restait la fierté et le plus grand employeur du village. Ici travaillaient au moins un membre de chaque famille, parfois même deux ou trois.


 Aujourd'hui le bâtiment principal est classé « monument historique » et se trouve dans un état lamentable. L'ancienne fabrique appartient actuellement à un particulier et il est compréhensible que la restauration de cette jolie construction de 1842 accolée à la falaise en pierre appareillée avec de hautes et belles fenêtres en façade doit être bien coûteuse et compliquée. Mais si quelqu'un a des idées et surtout des moyens pour sauver ce monument historique, tout le village serait vraiment heureux et reconnaissant !


La frise pariétale et l'abri sous roche de la Chaire à Calvin



 Juste à coté de l'ancienne usine se trouve encore un monument historique. En effet, à quelque pas commence le petit chemin qui conduit vers les grottes préhistoriques avec une frise pariétale de 3m de long et l'abri sous roche de la présumée chaire de Jean Calvin. Cette fois-ci nous n'avons pas eu de difficultés avec les panneaux. En entrant dans le village, au niveau du premier rond-point, il y a déjà une première indication puis arrivé dans le centre on trouve encore un panneau indiquant où tourner. Et même à coté des grottes nous avons pu lire quelques informations sur l'abri. C'est quand même pratique – les panneaux !


 Le petit panneau d'information nous a raconté brièvement que dans cet endroit ont été trouvées de nombreuses preuves de vie et d'occupation par l'homme au Magdalénien également appelé "paléolithique" (âge de la pierre taillée), y compris les dessins des chevaux ou des bovidés qui ont été créés sur la falaise quinze mille ans avant notre ère. Le nom du monument en lui-même, « L'abri de la Chaire à Calvin », provient d'une autre découverte. En effet, ici dans la falaise se trouve un petit creux avec une sorte de chaire en pierre où, selon la légende, Jean Calvin prêcha sa Réforme au 16ème siècle. Un petit escalier permet d'y accéder.


 Bien que nous n'en n'ayons actuellement aucune certitude, il est tout à fait possible que Jean Calvin ait visité Mouthiers-sur-Boëme pendant son séjour à Angoulême, mais il est probable que les idées de ce célèbre protestant dans cet endroit proviennent de la bouche de ses adeptes. Maintenant la grotte appartient au Conseil Général et elle est ouverte à tout le monde. C'est d'ailleurs la seule œuvre d'art préhistorique en Charente qui est accessible au public totalement gratuitement.


 Pour y accéder il faut traverser des terrains privés. Voilà pourquoi il y a encore un panneau indiquant les heures durant lesquelles la visite est possible.


 Ici l'eau nous accompagne encore mais il s'agit cette fois d'un affluent de la Boëme, le  ruisseau Gersac.


 Pour des raisons de sécurité la grotte est entourée de barrières. Mais les dessins de chevaux préhistoriques sont assez visibles malgré le grillage. On peut même les toucher... sur une reproduction tactile de la falaise. C'est aussi pratique.


 À coté de la falaise se trouve un petit banc en pierre pour se reposer et méditer ou puiser de l'inspiration en lien avec la préhistoire...


 Pour créer par la suite d'autres œuvres d'art comme l'ont fait, par exemple, l'artiste Emmanuel Pierre et le sculpteur Michel Vallat !


 On peut voir leur sculpture au milieu du rond-point en entrant dans Mouthiers du coté d'Angoulême.


 En fait, les chevaux pariétaux inspirent beaucoup d'habitants de Mouthiers. Dans les grottes, surtout l'été, ils organisent des animations nocturnes, des visites guidées par des historiens et des archéologues, des ateliers pour les enfants... Mais sinon c'est un endroit très calme. Souvent on peut se retrouver ici seul et unique touriste !

Les découvertes magiques à Mouthiers-sur-Boëme



 Parfois l’absence d'indications ou une politique touristique un peu faiblarde présente aussi des avantages car le voyage peut se transformer en l'une de ces fameuses situations improbables décrites dans les contes russes. Si le voyageur tourne à droite, il trouvera ... une jolie ferme avec des ânes et des chevaux...


 Si il tourne à gauche, il arrivera dans un château féodal avec plein de cerfs : le château de La Rochandry.


 Le château est visible de différents coins de Mouthiers, mais on peut le voir de plus près si on se rend à pied ou en voiture en direction de Ruelle.


 Ici aussi on peut admirer La Boëme.


 La construction du château aurait débuté au 9ème siècle (bien que l'on n'ait de preuves de son existence qu'à partir du 11ème siècle), mais son apparence actuelle date de 1852, année où il fut entièrement reconstruit par M. Servant, le banquier d'Angoulême qui racheta ses ruines en 1850.  Cette colossale entreprise l'aurait d'ailleurs complètement ruiné ! Aujourd'hui le château est l'un des bâtiments classés "monument historique" à Mouthiers mais il s'agit d'une propriété privée et ses propriétaires actuels ne l'ouvrent pas au public. Même l'escalier qui mène vers le château n'a visiblement pas servi depuis très longtemps.


  À coté de cette imposante construction on se sent vraiment microscopique et même les maisons à plusieurs étages semblent être des maisons de poupée !


  Et si l'on continue tout droit à Mouthiers, on se retrouve dans le logis de Forge avec ses magnifiques jardins à la française rappelant ceux de Versailles ou Peterhof. Mais nous allons dédier par la suite un article à part entière à cet autre petit paradis !


 Quant à nous, nous rebroussons chemin pour rentrer à la maison et disons un énorme merci à notre guide, la présidente de "Boëme Patrimoine" amoureuse de son village, Eliette Dedieu qui a accepté de nous aider et d'éclaircir certains faits historiques connus et inconnus mais aussi de partager avec nous son nouveau livre sur l'histoire de l'usine Laroche.


 Toute la vie de cette personne est elle aussi liée à la Boëme. La maison où elle habite depuis ses dix ans se dresse sur une rive de la rivière et cache en elle d'autres très jolies vues sur ce beau village doté d'un grand potentiel touristique et abritant de tels trésors !


 Voilà quelques liens pratiques pour les futurs voyageurs qui voudraient voir ce petit paradis perdu de leurs propres yeux :

 Localisation de Mouthiers-sur-Boëme :


 Le blog des habitants de Mouthiers-sur-Boëme :

http://mouthiers.boeme.pagesperso-orange.fr/Jeu1.htm

 Les chevaux préhistoriques de Mouthiers en 3D :

http://insitu.revues.org/6814

 Le site de la mairie avec les informations pratiques, annonces et dernières actualités du village :

http://www.mouthiers-sur-boeme.fr/

Et enfin le film qui a été fait sur Mouthiers-sur-Boëme par Via Patrimoine il y a 5 ans. Très intéressant et toujours actuel !

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